Lanzarote, mon Hawai à moi
Avant de signer une première licence aux Dauphins de l’Elorn en 2009, je faisais déjà le doux rêve inaccessible de participer et surtout de finir un jour un Ironman. Arnaud Constans, notre « Dieu », me conseille : « Si tu veux un Ironman facile, il faut que tu te lances à Roth. ». Finalement, ce sera Lanzarote. Et pour faire simple, parmi les 32 courses qui ont le label « Ironman», il paraît que c’est la plus difficile à cause de son parcours vélo.
1-Inscription
Juin 2012, finisher du TRIBREIZH (half Ironman) malgré l’arrivée du diabète 6 mois plus tôt, ce rêve devient accessible. En même temps, Dieu met en place un projet «Ironman Lanzarote 2013» auquel adhèrent tout de suite bon nombre de candidats. Aurélia me persuade de me lancer dans cette aventure en m’offrant l’inscription pour mes 37 ans. Si certains, pour des raisons diverses, devront lâcher l’affaire en route, 9 Dauphins seront de la partie. Pas le temps de cogiter, il faut déjà commencer à se préparer.
2-Préparation
Dieu gère tout, de la logistique du séjour qui se monte petit à petit aux plans d’entraînement. Avant Décembre, pas de spécifique, on complète les semaines classiques avec des séances de renforcement musculaire et la sortie vélo du weekend doit durer au moins 3 à 4 heures. Dans le même temps, ma chère cousine perd son jeune mari, foudroyé en quelques semaines par un cancer, drame qui montre à quel point il faut vivre ses rêves et relativise les contrariétés rencontrées dans le quotidien du diabète.
Courant Décembre, à 26 semaines de l’objectif, Dieu nous fournit un plan d’entraînement hebdomadaire, avec le détail de la séance, son importance, son but, les sensations à éprouver… il nous transmet toute son expérience. Quelle chance !
Course à pied ? Ca va.
Natation ? Jean-Luc me permet de progresser deux fois par semaine.
Vélo ? Aie, le vélo, c’est compliqué. Je n'arrive pas à suivre les autres lanzarotiens sauf au prix d’efforts aussi intensifs qu’en compétition, ce qui n’est pas le but recherché. J’opte donc pour des sorties avec le groupe 2 auxquelles j’ajoute quelques kilomètres ou je pars en solo sur de longues sorties vallonnées. Au fur et à mesure, les sorties supérieures à 150 km passent de mieux en mieux mais le doute est toujours présent. Heureusement, à chaque doute, à chaque baisse de moral, Dieu a les mots, le mail ou la séance pour relancer la motivation.
3-Le séjour
Voici déjà le mois de Mai et au hasard d’une escale aux Canaries, sympathique rencontre avec la navigatrice Samantha Davies qui nous explique qu’elle a deux raisons d’être là :
-elle vient encourager des copains qui participent à l’Ironman
-Lanzarote est le port d’attache de son nouveau défi : participer à la Volvo Ocean Race avec un équipage 100% féminin. Echanges brefs mais très chouettes.
Puis débarquement à Lanzarote qui nous accueille avec ses paysages parfois lunaires, parfois balnéaires, son relief accidenté, son soleil et son vent permanent.
Nous sommes 9 Dauphins, 1 landivisien, 8 accompagnatrices et 1 accompagnateur (le triathlète brestois Sébastien Escola-Fasseur). La plupart d’entre nous sommes logés dans des petits appartements très conforts réservés par Dieu, à 2 pas du départ et de l’arrivée de l’épreuve : situation et ambiance idéales.
-Lundi :
-arrivée
-baignade au milieu des poissons dans une mer bleue tropicale à 20°C
-Mardi :
-1900m de natation puis 90km de vélo en slalom entre les volcans au milieu des champs de lave dans le vent : impressionnant!
-sieste
-12km de course à pied
Mais ça fait presque un half dans la journée !
-Mercredi
-1900m de natation
-musée César Manrique (il est à Lanzarote ce que Dieu est aux Dauphins)
-balade sur la partie la plus montagneuse du parcours vélo : les Miradors Del Haria et Del Rio.
"Quoi ???? On passe par là ???? Ca ressemble à l’Alpe d’Huez avec du vent et de la pluie ! "
Grosse montée de stress. Par contre, sites exceptionnels ! Retour par le musée du vin et le jardin des cactus: très sympas.
-Jeudi
-pas de sport
-visite de la côte : El Grifo, lac vert
-passage par les champs de lave de Timanfaya, paysages incroyables
-retrait des dossards, défilé des nations, pasta party, ça y’est ça: sent le triathlon. La pression monte!
-messages de Bretagne où le Télégramme est sorti avec un élogieux article de Olivier Louarn sur la pratique du triathlon malgré le diabète, ça remet un coup de pression. Seul regret, ma grand-mère, dépositaire du Télégramme pendant plus de 30 ans, n’a pas eu la joie de voir son petit-fils à l’honneur dans le journal qui a accompagné toute sa vie professionnelle puisqu’elle nous a quittés à 85 ans 3 semaines plus tôt.
-Vendredi
-10km à vélo, 15 minutes à pied et repos
-dépôt des vélos et sacs de transition dans le parc à vélo (1800 vélos !)
-resto : Dieu commande avec beaucoup de malice une pizza Hawai, un signe ?
-Samedi
-réveil 5h00
-tour au parc pour compléter les sacs de transitions avec ravitos et appareil de mesure de glycémie
-petit déjeuner
-enfilage de combi et… la course !
4-La course
C’est encore la nuit, il pleut, on vient de nager une centaine de mètres seulement en guise d’échauffement. Nos chéries sont là, perdues au milieu du public et de 1900 triathlètes prêts à s’élancer. Encore 5 minutes, c’est long, ça applaudit, ça parle dans toutes les langues. Sous les bonnets de bain, un mélange de joie et d’appréhension maquille les visages. Et c’est parti, je suis dans ma course, dans ce truc qui m’obsède depuis des mois, c’est maintenant, pas le droit de gamberger. Ne pas rester dans l’émotion du départ et faire dans le rationnel malgré la pagaille environnante.
-La natation
Suivre mon plan, prendre l’extérieur quitte à nager un peu plus que la distance prévue. Bonne stratégie, je peux rapidement prendre mes aises et jeter un coup d’œil de temps en temps pour vérifier que les points de repères observés pendant la semaine sont bien en ligne de mire. Sortie à l’australienne, je mange une pâte de fruits glissée sous la combi puis replonge aussitôt. Deuxième boucle agréable, le soleil s’est levé, je vois quelques poissons, je pense à la transition 1.
-La T1
1h07 de course.
Je sais où est mon sac et le récupère vite, j’enlève la combi, m’assois pour tester ma glycémie mais la pluie du départ a empli mon sac et mon testeur est HS….. "Merde!" Ne pas gamberger à cause de ça, Dieu a dit : "La journée aura son lot de problèmes qu’il faudra résoudre posément !" . Je me dis que j’ai confiance en mon protocole d’alimentation, en ma capacité à ressentir les malaises et décide de partir sans me tester. Crème solaire, casque, chaussettes, un barre de céréales et une pâte de fruit et direction le parc. Malgré les 1200 vélos restants, je retrouve plus facilement ma monture que ma voiture sur le parking d’un hypermarché.
-Le vélo
Et c’est parti pour 180km de vélo et je ne sais pas comment ça va se passer. Départ tranquille, je mouline. A part quelques bombes qui appuient déjà fort sur les pédales, les autres semblent dans le même rythme.
30km : Bernard me dépasse en m’encourageant. Oh là là, soit il est très fort, soit je n’avance pas, que faire ? Rien sinon continuer comme ça, à l’économie, avec alternance d’une pâte de fruits / barre de céréales tous les 15km. El Golfo, Timenfaya, il y a des bosses, du vent de face, du vent de dos… Je m’efforce de garder la position la plus aéro possible. Dieu a dit : "Toujours penser: que puis-je faire à énergie égale pour aller plus vite ? ". Pour l’instant les jambes répondent et je me sens très frais.
75km : boum badaboum, la fixation de ma sacoche à outils vient de céder, demi tour pour ramasser et tenter de refixer.Yann (le douanier) passe, ralentit et me demande si ça va. Je lui réponds que rien de grave. Il me dit qu’il pense avoir une côte cassée et repart. Pour ne pas perdre trop de temps, je renonce à fixer ma sacoche et la met une poche dorsale. Pas très confort mais risque de crevaison oblige. Je reviens sur le Douanier avant le village de La Santa et me renseigne sur sa blessure. Je lui dis qu’il doit finir même si il a des difficultés respiratoires, lui demande si un médecin a regardé. Pas très cool mais pas trop le choix, je le laisse avec sa souffrance mais 10km plus loin il repasse devant… je ne le verrai plus avant le marathon.
90km : c’est la mi-course, je me sens bien. Les 30km les plus difficiles du parcours vélo commencent. Je me suis fixé 24.5 / 25 de moyenne au bout de ces difficultés pour être dans mon objectif de finir sous les 12h00. Beaucoup de public dans les premières pentes, ça crie, ça hurle "Venga ! Venga ! Animo ! Venga ! " .Une jolie fille me prend en photo, c’est ma chérie, ça fait du bien de la voir et je retourne à ma concentration : mouliner, éviter le mal de cuisse, ne pas forcer. Je monte plutôt bien et je suis surpris de passer tant de monde si facilement. A Landerneau, je suis toujours lâché dans les bosses.
110km : Le Mirador Del Haria, point culminant de la course et ravito perso que je décide de ne pas prendre, je remplace les barres de céréales et les pâtes de fruits par les PowerBar distribuées par les enfants sur les ravitos. Aux sensations, ça semble fonctionner. Et là grosse descente, des lacets alpins, ça monte vite à 60 entre les virages à 180°. Je m’éclate, c’est génial ! Arrivé en bas, cette nouvelle bosse qui commence dans le village est la dernière grosse difficulté du parcours vélo. Il faut pédaler contre le vent, les cyclistes que l’on voit plus haut ont l’air plantés en danseuse dans la bosse, ça fait peur mais ça passe. Encore une fois, sans trop forcer, je remonte quelques concurrents qui semblent à la peine, dont quelques bombes du début. Dans ma tête, je remercie Dieu et le Prez pour les parcours vallonnés de cet hiver. Et là, grosse claque au niveau paysage, on est en haut des falaises du Mirador Del Rio, surplombant de 500m un couloir de mer turquoise qui sépare Lanzarote de la petite île de la Graciosa, tout simplement magique ! Et finies les difficultés, verdict : 26.5 de moyenne ! Je crie de joie sur mon vélo. Il reste 65km durant lesquels « On améliore la moyenne de 2 à 2.5 km/h » a prévenu Dieu. Ca sent la perf inespérée à vélo et les jambes répondent toujours aussi bien, je suis en plein rêve.
125km : je me lance pleine balle dans la descente, le compteur dépasse parfois les 70km/h. Vent dans le dos, pas de virage, bitume de bonne qualité, ça dépote. Je continue en plus à reprendre quelques concurrents fatigués qui semblent accuser le coup après les ascensions. On tourne une dernière fois contre le vent pour 6km dont 3 avec un revêtement plus que médiocre. Et voilà, plus que quelques kilomètres avant le parc. Les 2 derniers kilomètres longent le parcours marathon et je croise Alex, Pascal (Jésus) et Bernard. Je ne suis pas si loin que ça ! Je tends ma machine à un bénévole après un dernier coup d’oeil au compteur : 28.8 km/h de moyenne et 6h13 de vélo pour couvrir ces 180km vallonnés et ventés! "Pas possible! Je n'y crois pas!". Youhou! Il me reste 4h30 pour remplir mon objectif de sub 12.
-La T2
Pas mal de chemin à parcourir pour cette transition. Mais je peux courir, je me sens bien. Pipi, changement de chaussettes, crème solaire, le casque vélo est remplacé par une casquette… et hop, plus que le marathon.
-Le marathon
Déconvenue au premier ravito, ils ne distribuent pas de Power Bar mais du gel, du liquide isotonique, de l’eau, du Red Bull, des fruits et des éponges. Première chose, boire quelques gorgées d’eau à chaque ravito. Pour le sucre, je vais cogiter en attendant d’épuiser les réserves de Power Bar collectées à vélo, ce qui devrait me laisser tranquille jusqu’au 15ème km. Les filles, dont Seb Escola, sont dans un faux plat pour prendre des photos et nous encourager à chaque passage, elles ont l’air de bien s’amuser en fait. Je passe le Douanier qui se tient la cuisse avec le bras et qui ne peut pas respirer. Il est énorme ! Quel courage ! Quelle envie ! Il force l’admiration.
Je pars avec de bonnes jambes en gardant à l’esprit de ne pas être essoufflé et de sentir qu’à tout moment je pourrais accélérer franchement si je le voulais. Je me trouve un peu rapide mais comme je ne force pas et après le vélo inespéré, j’obéis aux nombreux « Venga ! » du public massé sur la première partie du parcours.
C’est super de croiser tout le monde :
-les premiers envoient des foulées de coureur de 5000m
-Dieu fait comme les premiers
-Gilles ne semble pas au mieux, il ne fait pas de grimaces aux copains
-Alex est un métronome
-Jésus est un métronome qui bat les mesures moins rapidement qu’Alex
-Bernard semble pas mal, j’aurais du mal à revenir
Olivier (Rosé) et Patrice ne sont pas encore là. J’espère les voir bientôt, enfin pas trop…
Mais plus de Power Bar, je décide de prendre eau + solution isotonique à chaque ravito en marchant quelques pas pour avoir le temps de bien boire. Première boucle de 20km effectuée et ça va super. Le premier chouchou jaune autour du bras, je me dis qu’un marathon en moins de 3h30 est possible mais au faux plat suivant, crampes aux ischio-jambiers des deux côtés, je dois m’arrêter pour m’étirer. C’était trop beau. Le deuxième semi-marathon commence avec les jambes tendues, des éponges d’eau glacée sous le cuissard derrière les cuisses.
Pour les autres :
-je croise Dieu dans son dernier retour, il va battre son record malgré sa double entorse au trail de l’Aber Wrach. Il est phénoménal!
-Gilles et Stéphane Monfort marchent et on s'encourage
-le Douanier trotte toujours et on s’encourage
-Rosé et Patrice sont sur le parcours, on se tape dans les mains, on s’encourage
-Alex, Jésus et Bernard sont toujours classés dans cet ordre mais les écarts augmentent
Tout le monde va finir, c’est énorme!!!
Les crampes reviennent à peu près tous les 2km. J’ai abandonné depuis longtemps l’idée de faire moins de 3h30 sur ce marathon et me fixe un autre objectif pour ne pas trop relâcher et mobiliser l’énergie qui reste : aller chercher les 11h30 au temps final.
Deux chouchous au poignet, je me dis que je dois faire des jaloux car certains n’en ont qu’un, voire aucun, et d’autres arrivent seulement à vélo. C’est mon dernier tour, il me reste 11km. Je n’avance pas, dès que je plie le genou, les crampes sont fulgurantes. Mais dans la tête, c’est déjà la fête, je sais que je vais aller au bout même si c’est long. "Ils ont reculé l’endroit où on fait demi-tour ou quoi ? ". Allez, "Venga Venga ! Tu t’arrêtes à tous les ravitos jusqu’au dernier.". Sur les 226 km au menu du jour, il n’en reste que 3 puis 2 puis 1. Et surprise! Dans sa jolie robe rose, ma chérie m’attend sous l’arche Red Bull à 50m du but ! Je ne sais pas même pas si je pleure, j’ai des jambes en bois mais je vole, elle me donne la main, on passe la ligne ensemble, mais quel bonheur, c’est super fort !!! J’attrape des deux mains cette banderole d’arrivée avant de serrer la main du roi Keneth, mythique organisateur de l’épreuve, qui me dit "Congratulations !". Il a dû le dire près de 1700 fois ce Samedi mais la 363ème fois, elle était pour moi. 11h30 au global et un marathon en 3h53.
Bravo aux 9 Dauphins et au Landivisien Stéphane Monfort, tous finishers.
-mention spéciale à Dieu : 9h42 et troisième qualification pour la finale mondiale à Hawai
-une statue pour le Douanier, sur les 226km du parcours, il a fait 225.950km avec deux côtes cassées. Pour les polythéistes, ça fait un deuxième Dieu
Quitte à faire long pour ce compte-rendu, je voudrais remercier :
-Aurélia, ma femme, et mes filles Manon et Clémence de m’avoir permis de vivre cette aventure
-Arnaud Constans pour m’avoir fait croire en moi et m’avoir donné toutes les clés pour devenir finisher
-à Jean-luc Abiven pour avoir fait d’un caillou un truc qui flotte
-aux Prez (Monsieur et Madame) pour leur investissement dans ce club et dans le TRIBREIZH
-aux 53 Dauphins qui n’étaient pas aux Canaries parce que l’ambiance dans ce club est extra
-à mes collègues de bureau pour avoir supporté mes conversations axées sur le triathlon toute cette année
-à ma famille et à mes amis dont le soutien a généré une motivation permanente
-aux médecins qui ont été disponibles pour rendre ce projet possible
-aux accompagnatrices pour leurs encouragements et la super semaine passée aux Canaries
-à Olivier LOUARN pour l’écho fait dans la presse de la possibilité de la cohabitation entre Ironman et diabète
Ca c’est fait.