Terminer un Ironman nécessite certainement moins d'aptitudes physiques intrinsèques que la conquête du premier décile sur le classement d'un triathlon local. Autrement dit, quand on est un cheval de trait et qu'on veut briller en société sur ses performances sportives, l'Ironman est incontournable.
D'autre part, quand j'étais à l'école, mes profs disaient toujours à mes parents : "quel dommage de gâcher tant de capacités par tant de fainéantise". Rien que pour les emmerder, j'ai décidé de faire le contraire maintenant : bosser à mort dans un truc où je suis génétiquement inadapté. Le triathlon m'a ouvert les bras, je l'ai enlacé et je ne m'en lasse pas.
Donc quand Arnaud a proposé Lanzarote, j'ai sauté de joie : un gros dénivelé, avec mon IMC de camion et ma témérité légendaire dans les descentes, c'était parfait pour pousser le concept à son paroxysme.
De plus, ça faisait un beau cadeau à demander pour mes 40 ans. En aout 2012, mon inscription est envoyée ! Le gros doute, c'est : vais-je trouver le temps de m'entrainer correctement ?
Jusqu'à novembre, tout se passe correctement. Mon boulot me prend beaucoup de temps mais c'est encore gérable.
Ensuite, ça se gâte, l'article 6 de la loi de finance annoncé fin septembre fragilise l'équilibre déjà complexe de mon entreprise. Le tir aux pigeons a commencé, les pigeons se tirent. Les investisseurs qui risquent leur argent dans mes projets s'inquiètent à juste titre et nous demandent de revoir notre développement pour ne plus dépendre de la France. Il faut donc pondre un projet international ambitieux avant mai 2013 : tient ça tombe juste au bon moment cette histoire…
C'est donc parti sur un rythme infernal pour fuir à toute vapeur cet environnement hostile. La question se pose déjà sur ma capacité à gérer 2 projets de dingues en même temps… le goût du challenge m'habite et je tente le doublé.
En mars 2013, c'est le fond du trou. Les entrainements à 5h du mat', ça commence à tirer dessus et je n'arrive plus à me lever. Quand les copains se tapent 15h d'entrainement par semaine, moi je tombe à 3-4 heures. En plus, pour couronner le tout, mon beau-frère nous dit : il y a 3 WE où je peux vous aider pour faire l'abri de jardin et c'est maintenant. Youhou, c'est la fête, du bricolage en plus !
Le 15 mars, j'envoie un message à mon coach mental : "Je bosse plus de 60 heures par semaines en ce moment, je suis au bord de l'abandon pour Lanza". Il me répond "Tu veux qu'on aille boire un coup à Garden pour en parler ?". Association d'idées : Garden beer > bières à l'arrivée (dont celles que sussucre m'a promises) > arrivée > finisher > punaise, je vais le faire et le finir ce triathlon ! Merci Jean-Claude, t'es le meilleur.
Début avril, c'est la dernière ligne droite pour mes 2 projets. L'entreprise commence à rouler et le vélo à rouiller. En attendant, c'est moi qui vais dérouiller dans 1 mois et demi si je ne m'y mets pas maintenant. C'est le moment de prendre des risques : un cheval de trait, ça ne va pas vite mais ça encaisse. Je passe en 2 semaines de 3 à 11-12 heures d'entrainement. Evidemment, je vais m'entrainer tout seul parce que ce n'est pas maintenant que je vais m'amuser à rouler avec les autres barrés de la pédale.
Fin avril, l'endurance est là. Pour la vitesse, je passe mon tour. J'ai encore 5 kilos de trop et je vais devoir faire avec. Dans 2 semaines c'est le départ. Juste le temps de finaliser mes projets entrepreneuriaux et je pourrai partir la conscience tranquille à défaut d'être vraiment prêt pour l'épreuve.
Dimanche 12 mai, départ en fourgon avec Jean-Claude et Sandra : c'est parti pour une semaine de malades. Je suis quand même un peu inquiet. A force de tout faire à l'arrache pour remplir mon agenda au chausse pied, j'ai vraisemblablement oublié quelque chose.
La semaine va confirmer mes craintes. Il me manque plein de petites choses (dont le Nok et l'attirail énergétique habituel, je vais le payer c'est sûr) et mon vélo n'est pas très au point. Heureusement que je ne suis pas tout seul… j'ai placé mon vélo stratégiquement à côté de l'appart de Dieu… on ne sait jamais, des fois qu'il s'ennuie.
A part ça, séjour d'enfer. J'avais besoin de décompresser et j'ai décompressé ! A part 2-3 petites choses à régler et un internet défaillant, j'ai réussi à gérer mes affaires à distance. L'ambiance est au top. Je profite de mon statut de célibataire pour aller prendre le petit déjeuner à un endroit, le café à un autre… des fois, j'amène des bières quand même ! On se marre tout le temps, on se cultive (un peu), on se chambre (beaucoup). Par contre, je n'arrive pas à dormir tant que ça, j'ai dû perdre l'habitude !
Bon, et la course alors ?
Petit déjeuner chez les Rivoal, mes parents d'adoption pendant cette semaine. J'attends le Jean-Claude en piaffant d'impatience pendant qu'il s'acharne à dégager l'extrémité basse de son système digestif. Du coup, on n'est pas en avance sur le site. Ensuite, il faut encore remonter aux appartements pour mettre la combi. Il est 6h30, on est en route vers les appartements et une douleur vive me sert les intestins : je crois que c'est mon tour… sauf que j'ai vraiment mal au ventre et que cette formalité s'éternise. Je ressors à 6h45 pour aller mettre ma combi chez les Rivoal. Evidemment, ils sont déjà partis et me voilà dans la nuit, en cycliste, avec ma combi dans les bras. Je retourne à mon apart, je mets ma combi en vitesse, les clefs à la réception et je commence mon échauffement en courant vers le départ. Bien-sûr, comme je comptais sur la vaseline de Jean-Claude pour préparer mon entre-jambe si délicat avant de partir, je vais devoir y aller à sec (ne pas sortir cette phrase de son contexte s'il vous plait…).
Evidemment, comme j'arrive 2-3 minutes avant le départ, inutile de dire que je suis bien placé… Par contre, je ne suis pas du tout stressé et donc en complet décalage avec un de mes voisins qui pleure comme une fillette. Après une semaine intensive de Jean-Claude, j'ai le réflexe de le traiter de lopette et le coup part (enfin… celui du départ). C'est parti !
Bon, ça manque un peu de dynamisme les gars là ! On n'est pas là pour cueillir du muguet ou se faire une côte de bœuf (ou de douanier !). J'ai l'impression d'être un Parisien à 8h du mat sur le périphérique. Ca va se décanter au bout de 300m mais globalement, je n'aurai pas beaucoup nagé à mon rythme pendant l'épreuve. Pourtant, j'ai de bonnes sensations quand l'horizon se dégage. Au bilan, plus d'une heure 10, ça fait un peu beaucoup…
Je fais une transition correcte et j'ai joué au balèze : chaussures sur le vélo ! La classe…ou pas ! Ayant oublié mes chaussures de triathlon, ce sont mes chaussures normales (avec 3 scratchs). J'essaye pendant 2 kms de mettre mes chaussures en pédalant mais c'est beaucoup trop de virtuosité pour mes qualités d'équilibriste. Je descends donc de mon vélo pour pouvoir mettre mes chaussures… la honte… un spectateur tente de m'aider mais j'ai la lucidité de l'en empêcher, ça serait trop con de se faire disqualifier en plus. Je redémarre et je me fais doubler quelques centaines de mètres plus tard par Bernard. Ces 2 derniers jours, j'ai essayé de le travailler mentalement en lui disant qu'il mettrait du temps à me rattraper à vélo et qu'il allait donc devoir faire attention à mon retour sur le marathon. Il a du bien se marrer en me doublant. En tout cas, moi j'étais hilare. Bon, plus que 177 km.
Eh bien, j'appréhendais un peu (c'est une litote) le vélo et ça s'est super bien passé. Décor superbe, température idéale, bosses pas si dures que ça et un vent très supportable. Je double plein de monde en montée, et je me fais doubler en descente (et oui, je suis encore plus pleutre que lourd). Au final, je vais faire 130 km avec les mêmes. A la fin, il y a des gars que j'aurai doublés au moins 20 fois. Par contre, comme les 50 derniers kilomètres sont plus plats, je les reprends tous un par un et je ne les reverrai plus. J'ai de super sensations et je trouve que tout le monde roule au ralenti.
Je craignais 2 passages sur tout le circuit et en effet, c'était terrible! 2 descentes avec un bitume en braille (ça doit être pour les voitures d'aveugles) où ça a vraiment été un enfer. Je me suis remémoré la lopette du début et je braille "là tu peux chialer si tu veux !". Bon d'accord, là, c'est moi la lopette.
2 choses m'empêchent de vraiment profiter de ces 50 kilomètres de rêve : un échauffement de l'entrejambe vraiment prononcé qui me fait souffrir en position aéro (que je tiens par contre musculairement très bien) et un petit doute sur mon alimentation. En effet, mon manque d'équilibre sur le vélo me joue encore des tours et je n'arrive pas forcément à saisir tout ce qu'on me donne. Je suis très bien hydraté (merci Gilou de m'avoir convaincu d'acheter un porte bidon !) mais je me rends compte que je n'ai pas mangé grand-chose (2-3 barres et 2 bananes au plus).
Bon, au moment d'attaquer le marathon, tout va bien. Les premières foulées à la descente du vélo sont étonnamment fluides. Je suis à 8h et une grosse dizaine de minutes de course. Hum, un marathon en 3h45 et je passe sous les 12 heures. Le cheval de trait a le mors aux dents…
…10 kms ! Au premier ½ tour après avoir tenu contre le vent, je suis dans les temps donc avec le vent, je me dis que ça va envoyer du lourd : Eh bien non ! Ça commence déjà à être dur. Je sens la fatigue m'envahir. Aucune douleur mais plus d'énergie. J'arrive au 20ème kilomètre et je suis las. Je lutte même contre le sommeil.
L'hypoglycémie me guette. Je vais donc commencer à m'arrêter vraiment aux ravitos pour boire au moins 2 verres de boisson énergétique. Le problème, c'est qu'elle est coupée à l'eau de façon très aléatoire. Je mets du temps à le comprendre malheureusement. Je bois tellement que mon estomac me gêne pour courir. Bref, la grosse galère pendant largement plus d'1 heure. Je vais marcher beaucoup et c'est très désagréable.
Au début du 3ème tour, pour attaquer le dernier quart du marathon, la force revient petit à petit. Le problème, c'est qu'il n'y a plus de boisons énergétique dans certains stands. Je passe au Red Bull. C'est franchement dégueulasse mais à ce moment de la course, tu t'en fous complètement. L'envie et l'énergie reviennent et c'est ça qui compte.
Je croise le regard du douanier un petit kilomètre avant le dernier demi-tour. Je cours très correctement à ce moment de la course et lui ne peut faire autre chose que marcher. Nous savons donc tous les 2 que nous allons échanger la place de dernier dauphin dans quelques poignées de minutes. En effet, je le rattrape à 3 kilomètres de l'arrivée. Je reste discuter 500m avec lui et il m'explique en détail son problème. Je repars pour les derniers kilomètres à 5 minutes au km. Je double plein de monde et je réalise que, mine de rien, je vais boucler mon 2ème Ironman : je suis raisonnablement fier de moi. J'avais dit à mon entourage que je ferai entre 12h et 13h, et je fais 12h32 : si ça n'est pas de la précision, je ne m'y connais pas !
J'attends le douanier à l'arrivée pour le féliciter. On va chercher notre T-Shirt et on croise la douanière. On lui laisse nos vélos. Le douanier veut se faire masser. A la sortie de la tente de massage, je l'attends 5 minutes, 10 minutes, 20 minutes… ça commence à être long et je commence à geler. Je saurai par la suite qu'il allait être dirigé vers l'hôpital. C'est le seul point noir d'une semaine parfaite !
Petit bilan en vrac de tout ça :
• Je ne ferai jamais (même s'il ne faut jamais dire jamais) d'Ironman sans être accompagné par d'autres dauphins. Les différentes personnalités se sont mariées avec un rare bonheur.
• J'ai trouvé les filles très positives par rapport à la passion de leurs chéris. Intendance, encouragements, compassion… c'était sympa à voir (même si ça ne doit pas être facile tous les jours).
• Remerciement spécial à Arnaud qui nous a, dans tous les domaines, tout préparé aux petits oignons. L'histoire ne retiendra que sa performance sportive, je me souviendrai surtout de son extrême dévouement. L'équation travail + talent, ça marche décidemment très bien.
• L'Ironman est accessible à toute personne suffisamment courageuse et...égoïste. C'est une belle épreuve où le plus dur se fait dans les mois qui précèdent. Et c'est dur pour tout le monde !
• J'ai trouvé pénible de ne pas pouvoir m'y consacrer comme il le fallait mais au final, c'est un autre défi. J'ai réussi sur les 2 tableaux : mon entreprise part avec de belles armes à l'assaut de l'international et j'ai fini correctement une épreuve qui fait peur à la majorité des humains normalement constitués. J'ai ainsi assuré mes fonctions sociales en créant de la richesse collective et mon plaisir personnel en m'assurant d'avoir quelque chose à raconter pour briller en société.
Vivement le prochain !